Elles faisaient la cuisine et sans doute la faim me motivant, la chaleur me chassant, je rentrais du jardin, je venais rôder dans les parages, alors on me confiait la tâche très subalterne de mettre la table. Pendant ce temps, leur conversation entrecoupée par les attentions diverses que demandait la préparation des aliments n'empêchait pas d'entendre la radio. J'écoutais au fond assez peu ce que les adultes disaient, les uns ou les autres, indifféremment, ils étaient un peu à côté du monde. Je posais les assiettes sur la table en fonction de règles précises qu'on m'avait apprises, et que je respectais scrupuleusement, du moins me semblait-il parce que tout cela brinquebalait un peu dans mes mains d'enfant. Je tournais à mi-hauteur du monde dans l'univers de la cuisine qui était complexe et précis. Je me souviens de la "sécheresse", et de ce mot qui revenait en boucle aux informations lorsque je mettais la table, et qui m'était tout à la fois effrayant et un peu incompréhensible. Au bout de quelques jours, je me risquais à demander, si nous allions pouvoir continuer à boire de l'eau, et comment nous ferions quand il n'y en aurait plus. Et à ma grande surprise, pour une fois que je tentais de rejoindre leur monde, les adultes haussèrent les épaules, et me dirent que, évidemment, on allait continuer à boire de l'eau, et qu'il continuerait à y en avoir. J'en conclus qu'ils avaient un usage des mots très étrange, et qu'ils ne leur accordaient pas assez d'importance. Et je me désintéressai de nouveau de leur monde.