Devant la gare, avec ses habits noirs et son foulard qui lui mangeait le visage, Rosana avait l'air d'une veuve. Aux heures de pointe, son immobilité de statue gênait la foule. On lui disait d'une façon contradictoire qu'elle était libre de et qu'elle devait circuler...
Minima la tirait par la manche, son corps résistait comme un roc. Rosana restait plongée dans le flux de ses pensées. Minima attendait avec elle, en imitant sa patience infinie, que les familles se remettent d'aplomb. Les scènes de leur vie quotidienne se remettraient alors à ressembler à des photos...
Elle transportait dans son sac celle d'un homme-orchestre. Les lèvres de l'artiste jouaient de l'harmonica, ses mains de l'accordéon et ses pieds de la grosse caisse. Isolé dans un cône de lumière, il ressemblait à un jouet mécanique.
Minima se souvenait des coups de cymbales. Elle se trouvait dans un cirque, au milieu du cercle familial. Sur la photo, elle n'était pas plus haute qu'une poupée, mais, assise sur ses épaules, elle dépassait son oncle de la tête. Elle faisait tinter les grelots qui entouraient son chapeau, au rythme de l'orchestre.
La musique faisait partie de leurs bagages. L'âme de leurs ancêtres les accompagnait partout grâce à elle. Rosana chantait certainement en silence dans sa tête quand les gens lui faisaient remarquer qu'elle pouvait circuler. L'heure n'était pas venue. Comme les oiseaux migrateurs, Rosana attendait un signal. Attachée à sa place sur le parvis de la gare, elle ne se sentait pas prête pour n'importe quel départ...