Quand j'étais un petit garçon, je passais des heures à admirer la vitrine d'un marchand de jouets. Un grelot tintait quand je franchissais la porte. A la sortie, le tintement me rendait nostalgique. Mais je savais que je pouvais revenir. Devenu adulte, j'ai voulu voyager pour voir le monde et tâcher de le réparer un peu. A mon retour, pour échapper au désespoir, j'ai ouvert, moi aussi, un magasin de jouets. J'ai désormais les cheveux aussi blancs que le vieil homme chenu qui m'ouvrait sa porte à n'importe quel moment de la journée.
Minima m'avait remercié de la visite que je lui avais faite dans sa maison de nacre et de sable en acceptant mon hospitalité « Au Royaume des Jouets ».
J'étais parvenu, me semblait-il, à reconstituer une partie de son histoire récente malgré ses réticences à se livrer. Elle frémissait comme un jeune animal traqué. Quelle conduite devais-je adopter à son égard ? Je voulais la protéger. Cette enfant qui m'était apparue soudainement à la lisière des vagues de l'océan m'obligeait à sortir de mon sommeil engourdi. Elle était non seulement l'archétype de l'enfance mais une petite fille en chair et en os dont je devais prendre soin. Minima m'offrait la chance de ne pas finir en vieil homme rabougri !
Ma boutique contenait le monde entier en miniature. Minima avait été intéressée par le train électrique, et par les maisons qui longeaient son parcours. Comme dans l'ancienne maison de garde-barrière où elle avait séjourné, le chemin de fer croisait un chemin vert. La locomotive tournait en rond sur le circuit. Elle dessinait le cercle de la terre. Des gardes surveillaient les barrières. Des feux s'allumaient, rouges ou verts. Le train changeait de voie quand elle manoeuvrait les aiguillages. Elle se sentait alors toute-puissante, comme Dieu, elle ne voulait que du bien aux voyageurs !
Une horloge ronde indiquait l'heure au fronton de la gare. Certains rataient le train, peut-être n'avaient-ils pas appris à lire. Une figurine qu'elle appelait « Rosana » priait pour ne plus être laissée sur le quai. Elle arrêtait le train à sa guise, au gré de chacun. Les remerciements lui allaient droit au coeur. Elle avait changé de planète, elle n'était plus une cible. Elle commandait aux machines, leurs rouages fonctionnaient harmonieusement. Elle s'était souvenue que sa mère mettait parfois de l'huile dans le moteur de la machine à coudre avec un petit bidon terminé par un bec aussi fin qu'une aiguille. Leur vie de famille n'aurait pas dû se détraquer !
Un soldat d'opérette aux habits chamarrés battait son tambour avec des gestes saccadés. Il tournait la tête du côté gauche quand la baguette droite s'abaissait pour frapper. Les plumes de son chapeau frémissaient. Quand il regardait droit devant lui, les deux baguettes relevées étaient réunies par la pointe. Le mouvement paraissait perpétuel. Dès qu'il ralentissait, Minima tournait une clé dans le dos du soldat qui reprenait de l'allant.
Je lui avais expliqué le fonctionnement de mes jeux de construction et, avec un Meccano, j'avais fabriqué des grues. Elle faisait semblant de les utiliser en sens inverse pour soulever du sol des toits et des murs écroulés.
Pendant qu'elle s'abandonnait au bonheur de jouer, je cherchais un deus ex machina qui aurait pu rendre à sa vie son assise familiale... Mon dieu machinal redéclenchait l'automatisme de l'espoir...
La nuit tombée, j'avais branché des fils dans des prises électriques. L'intérieur des maisons s'était illuminé en même temps que les rues sous les alignements de réverbères. Minima s'était émerveillée de pouvoir embrasser d'un seul coup d'oeil une ville entière. L'ensemble s'animait, les trains et les voitures circulaient. Elle découvrait le don d'ubiquité. Les réseaux de faisceaux lumineux organisaient dans l'obscurité un spectacle qui la fascinait. J'étais heureux que Balthazar le magicien puisse mettre en œuvre pour elle cette symphonie du monde...