Anguleusement
ville des jeux mère RALENTIR
enfants à coeur bloqué
désertent la caserne
Aux bords des mondes, par Isabelle Pariente-Butterlin / Invitation à lire Francis Royo / Mille petits riens qui font un grand tout / A la source de la littérature avec Danielle Carlès / Impressions d'enfance, regards croisés / Les Cosaques des frontières, par Jan Doets / Les couleurs de Claudine/ Vases communicants/
Mots
déploiement géométrique, sonore, temporel
Les mots/"Sons" dessus dessous?/Où (hou!hou!) sont les sons?/Sur les ondes/Tout se jouait entre deux mots qui se fuyaient/Ecrits déchirés/Les mots me manquent/Mots à profusion/Fond et forme/L'art de combiner les sons/Passerelles de mots/Sous le couvert des mots /Ma voix résonne dans le désert!/C (Qu) antique/Mots creusés-creusets /Mots interdits /Mots /
Motifs
Ombres
Point de rencontre /Aboli bibelot /Portrait/
Images
Images découpées/La dernière image de lui/ Autoportrait /
la lettre i
Démolition/DESPERADO/Eperdument/
immense
Un océan à traverser/Plans sur la comète, rêverie géante.../
improvisations
Nécessité fait loi?/ Chevauchée fantastique/
invisibles frontières
Moi et/ou moi/Acrostiche/Du trajet au destin (tragédie?)/Elle ourlait le bord des précipices.../Incertains rivages/L'usine/Couloirs du temps/
itinéraires
Présence au monde
| Gestuelle |
Gestuelle/Droit dans les yeux/Mots creusés-creusets/Mécanique des gestes/L'art de la rature/
| Je |
Le moi qui se dérobe/J ((( oi ))) e /Acrostiche/In (dé) cohérence /Autoportrait /Qui étais-je vraiment?/ Petit voyage dans le temps /
| Langage |
Sous le couvert des mots/A perdre la raison/Prendre le langage pour ce qu'il est/C (Qu) antique/Mots interdits /L'écriture des arbres /Langage décisif/L'infini dans le fini/Texture du langage /Traversée / Trop... /Objet de langage /
| Lumière |
Grains de sable/Lumière-matière/Lumière/Evocation/
|Musique |
L'art de combiner les sons/La musique jouait en trompe-l'oeil/Contrepoint/Le temps d'un disque/
| Silence |
Anguleusement
ville des jeux mère RALENTIR
enfants à coeur bloqué
désertent la caserne
Souvent, le soir, elle revenait marcher à travers cet espace incertain, ni campagne ni ville, ces anciens champs devenus terrains vagues, en attente de projets urbains, entre la ZUP et l'autoroute. L'antidote de la peur était quelque part de l'autre côté de la brume, où finissaient par disparaître les feux arrière des véhicules. Il fallait quitter la rive connue, s'élancer à travers cet espace incertain, ces terrains en attente d'un emploi, d'une utilisation, d'une occupation au sens propre du terme, aussi vagues qu'elle se sentait velléitaire, aussi vides qu'elle se sentait creuse, bordés du côté de l'horizon par la fluidité, la mobilité de l'axe autoroutier, et du côté de la cité par la rigidité, l'inquiétante immobilité des grands murs de béton, aussi austères que ceux d'une prison. Mais une sorte de paralysie la maintenait sur place, dans la prison de ses désirs contradictoires et de sa conscience confuse, déboussolée, affolée...
éclats
à la merci d'un souffle
Un jour, alors qu'elle était partie à la recherche de sa mère, Minima avait aperçu devant l'entrée de la gare la forme d'une femme recourbée, vêtue de noir, avec un foulard noué sur la tête. La femme avait levé son visage vers elle et les passants les avaient enveloppées dans un même regard. C'est ainsi qu'elle avait fait la connaissance de Rosana. Celle-ci choisissait tous les jours le même emplacement. A plusieurs mètres d'un banc où s'allongeaient des hommes fatigués, non loin de l'ouverture par laquelle entraient ou sortaient les voyageurs. Quelques centimètres seulement séparaient son tabouret du mur de béton gris contre lequel elle se reposait à chaque fois que la gare était déserte. Sinon, la honte la maintenait courbée vers le sol...
Le père de Minima avait recommencé à jouer du violon dans une gare en attendant que la roue se remette à tourner dans le bon sens. Une sorte de « Robin des bois » l'avait finalement conduit dans une maison isolée qui disposait de l'eau et de l'électricité. « Un vrai palais », sans doute une ancienne maison de garde-barrière, où la famille avait été de nouveau réunie.
Minima se souvenait qu'elle allait souvent contempler dans la cour le passage des trains qui ne s'arrêtaient plus. Ils glissaient sur les rails en déplaçant l’air qui les gênait, et leur vitesse était si grande qu'elle n’avait pas le temps de fixer son regard sur la tête des voyageurs ! La nuit, elle voyait des traînées de lumière et des traces de couleurs...
A l'intérieur de la maison, le passage des trains faisait cliqueter les objets sur la table et les crayons dérapaient : les lignes qu'elle pré-voyait droites se transformaient en zigzags ; on aurait dit que la table était animée par un moteur comme une machine à coudre.
Elle imaginait son père avec la casquette des contrôleurs de la SNCF et faisait semblant de relever ou d'abaisser les anciennes barrières. Il allait et venait sur un quai, sifflait, agitait un drapeau. Les conducteurs des locomotives descendaient lui serrer la main. La famille se trouvait au centre du monde, leur maison en garantissait le bon fonctionnement. Minima faisait un rêve étrange : qu'un train s'arrête. Il leur manquait de précieux papiers pour avoir le droit de circuler.
Elle avait accompagné son père pour déposer leur histoire dans un dossier de la Préfecture. Dans la file d'attente, elle avait entendu comme une musique de voix avec des suites de sons inconnus qui s'évaporaient dans la salle. D'autres familles et des hommes seuls, soucieux, patientaient. On leur demandait des dates mais eux, une DAT (demande d'asile territorial), et les malentendus s'accumulaient.
Un matin de très bonne heure, la police avait frappé à leur porte. Leur présence dans l'ancienne maison de garde-barrière avait été dénoncée. Le temps de réunir un baluchon, la famille avait été obligée de sortir. Dehors, Minima n'avait pas aperçu de grue mais des truelles et du ciment. Il y avait donc plusieurs façons de déloger les gens. Celle des maçons, qui muraient les portes et les fenêtres, laissait la possibilité de conserver DEBOUT le souvenir de la maison qui les avait accueillis dans ses entrailles, entre deux rails. Minima s'était retournée pour jeter un dernier coup d'oeil : à l'étage de la chambre où elle avait dormi battait un volet bleu...
l'heure
leurres
de lumière
Il leur manquait de précieux papiers pour avoir le droit de circuler. Elle avait accompagné son père pour déposer leur histoire dans un dossier de la Préfecture. Dans la file d'attente, elle avait entendu comme une musique de voix avec des suites de sons inconnus qui s'évaporaient dans la salle. D'autres familles et des hommes seuls, soucieux, patientaient. On leur demandait des dates mais eux, une DAT (demande d'asile territorial), et les malentendus s'accumulaient.
Un matin de très bonne heure, la police avait frappé à leur porte. Leur présence dans l'ancienne maison de garde-barrière avait été dénoncée. Le temps de réunir un baluchon, la famille avait été obligée de sortir. Dehors, Minima n'avait pas aperçu de grue mais des truelles et du ciment. Il y avait donc plusieurs façons de déloger les gens. Celle des maçons, qui muraient les portes et les fenêtres, laissait la possibilité de conserver DEBOUT le souvenir de la maison qui les avait accueillis dans ses entrailles, entre deux rails. Minima s'était retournée pour jeter un dernier coup d'oeil : à l'étage de la chambre où elle avait dormi battait un volet bleu...
Les grues du chantier de la démolition avaient fait dévier les familles de la bonne trajectoire. Elles avaient été dispersées dans des lieux aux noms vagues. Centre, Pension, Foyer ou Gîte. Il arrivait qu'on appelle Minima "la Gitane" ou, de façon plus anonyme, "Machine".
Elle serrait souvent au fond de sa poche un carré de tissu que sa mère avait cousu pour elle au temps de la machine. L'étoffe bleue, ourlée de fil rouge, formait le fond d'une sorte de cadre. A l'intérieur, la piqueuse avait dessiné une maison. La toiture était épaisse, les murs s'enracinaient dans le sol. Tout en haut de la porte, sa mère avait brodé le prénom qui lui conférait son identité.
Elle transportait d'autres trésors dans un sac en bandoulière qui suscitait la curiosité. Des adultes en faisaient l'inventaire pour tenter de recomposer son parcours. Ils remplissaient des fiches et mettaient des croix dans des cases. Leurs doigts insensibles touchaient au plus intime de sa véritable histoire. Elle entendait des déformations inouïes : "bric-à-brac" pour le fil continué de son errance, "poubelle" pour les plus beaux de ses souvenirs, les plus belles de ses espérances ! Elle était étonnée par les prouesses de leur imagination. Etonnée mais aussi inquiète car leurs constructions aberrantes avaient un pouvoir d'agencement sur sa vie. Ils retournaient son sac, qui devenait un cas. Elle trouvait que ses interlocuteurs se donnaient beaucoup de mal pour rendre son cas difficile. A la fin des fins, ils disposaient de casiers judiciaires pour les plus difficiles. Elle redoutait le moment où, rattrapée par une suite d'événements plus malencontreux les uns que les autres, elle serait placée dans un de leurs casiers !
Journée sombre: les réunions s'enchaînent dans une salle sans fenêtres.