Sans doute le Jokari a-t-il permis que je m’exerce à trouver des éléments de langage pour sortir du chaos. Le magma implicite devenait plus fluide, extensible et fin comme l’élastique. D’un coup de raquette, je lançais la balle à l’autre bout du monde connu. J’apprenais à baliser mon territoire, à en explorer les limites. La petite balle en caoutchouc avait la fonction d’un émissaire. Elle décrivait de la terre vers le ciel et du ciel vers la terre des orbes, des courbes, qui m’expliquaient l’Univers. Je dialoguais ainsi avec les puissances contraires, les rebonds de la balle au bout de l’élastique faisaient se rejoindre les contradictions. Je n’étais pas toute-puissante puisque je devais apprendre à maîtriser mes gestes. J’apprenais la modestie en même temps que la mesure. J’étirais mes coups comme j’étirais mes phrases. Les mots me conduisaient dans de multiples directions aux destinations insoupçonnables. Avec les vingt-six lettres de l’alphabet, j’avais à ma disposition des mondes en quantité infinie. Les voyelles prenaient toutes les colorations de la lumière, les consonnes dansaient sur les pages. Les mots que je formais, les phrases que j’alignais, apportaient des bouts de réponse aux questions lancées par ma conscience figurée sans doute inconsciemment par la balle compacte qui rebondissait sur le sol. Quel dieu, quelle puissance jouait ainsi avec le cœur de moi-même en mon for intérieur ? Que ressentaient les autres ? Avaient-ils la même perception que moi du chaos et/ou de l’organisation du monde ? Quelle était la langue qui éclairait leur conscience ? Comment s’arrangeaient-ils avec elle ? Tandis que je philosophais avec la balle, elle me divertissait. Ses rebonds parfois imprévus faisaient que le fil de notre conversation s’interrompait. J’avais du mal à la rattraper. Trop essoufflée, je finissais par me déclarer K.O... ENFANCE