À l'occasion des vases communicants du mois de juin, Isabelle et moi nous étions spontanément répondu à chaque texte écrit par l'une ou l'autre sur le thème choisi, et, de fil en aiguille, avons découvert à la fin de cet échange que nous avions créé ensemble un texte homogène à quatre mains.
Isabelle m'a proposé il y a quelques semaines de renouveler cette expérience d'écriture-correspondance sur le thème de l'été, de nos étés passés et des images qu'ils faisaient surgir en nous. J'ai accepté, comme la première fois, avec enthousiasme.
Nous avons décidé de mettre en ligne un à un, sur une période de 19 jours, les 19 textes écrits, dans l'ordre de leur écriture.
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Par un beau dimanche d'été, pour accompagner mon père à la pêche, nous avions pris un autobus qui nous avait déposés non loin d'un étang situé à une quinzaine de kilomètres de chez nous. Il restait encore deux ou trois kilomètres à parcourir. Mon père disparaissait sous la charge de ses cannes, siège pliant, besace et autres objets qui faisaient partie de son attirail. Ma mère portait tous les paniers du pique-nique. Mon frère et moi étions chacun harnachés d'un sac en bandoulière qui contenait toutes sortes d'accessoires. J'étais habillée comme lui car, par souci d'économie, ma mère me faisait porter ses vieux habits. J'en profitais pour ressembler le plus possible à un garçon. Je tenais à pêcher moi aussi et, quand nous fûmes arrivés à destination, bien installés sur le bord délicieusement ombragé de l'étang, je ne laissai mon père en paix que munie d'une canne dotée d'un hameçon armé d'un asticot. Mon père bougon dût venir plusieurs fois démêler le fil de nylon empêtré dans des herbes flottantes que je n'avais pas su éviter. Convaincue que sa patience avait des limites, j'avais fini par trouver le bon geste, et je relevais et baissais tranquillement ma ligne en surveillant le bouchon que je vis soudain s'enfoncer profondément dans l'eau tandis que mes bras ressentaient des secousses. Mes appels à l'aide ne furent pas tout de suite suivis d'effet car mon père en avait assez d'être dérangé par mes bêtises. Quand il prit enfin les choses en main, la situation était devenue périlleuse. Ou je lâchais la ligne que j'essayais de retenir de toutes mes forces en étant arc-boutée contre un arbre, ou je me laissais entraîner par le monstre que mon hameçon avait piégé à l'autre bout du fil. Mon père lui-même était impressionné par la puissance des soubresauts de la bête qui se débattait sous l'eau. Un énorme brochet? Avec méthode et toute son expérience de pêcheur aguerri, il tirait sur la ligne pour remonter le poisson à la surface. Celui-ci ne se laissait pas faire et mon père avait la hantise que la canne en bambou, dont la résistance n'était pas à toute épreuve et qui ployait ou pliait de plus en plus au point de dessiner un arc de cercle au-dessus de la surface de l'eau, ne finisse par casser. Ma mère et mon frère accourus poussaient des exclamations. Mon père leur demanda de se dépêcher de lui apporter son épuisette, la gibecière et la nasse. Le combat tournait à son avantage. D'un dernier coup sec, il sortit de l'eau une très grosse anguille luisante qui frétillait de plus belle. Il était temps car l'hameçon commençait à se décrocher, observa-t-il, penché vers l'anguille qui continuait de gigoter au fond de la nasse. Il était probablement déçu comme moi de ne pas avoir retiré de l'eau le magnifique brochet que nos imaginations avaient espéré et réellement entrevu. Si tel avait été le cas, nous aurions été célébrés comme des héros...