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  • : le vent qui souffle
  • : Un souvenir surgissait parfois des mots comme un djinn d'une jarre, un souvenir imaginé, un oubli imaginaire... Le jeu de l'oubli dans l'écriture consistait à donner une forme à ces souvenirs blancs qui s'échappaient comme des fantômes...
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4 septembre 2014 4 04 /09 /septembre /2014 23:04

     Les Vases communicants sont des échanges croisés de textes et d’images entre sites ou blogs, qui ont lieu chaque premier vendredi du mois. Imaginés par François Bon (Tiers Livre) et Jérôme Denis(Scriptopolis), ils sont animés et coordonnés par Brigitte Célerier.

 

    J'ai le plaisir d'accueillir aujourd'hui sur mon blog Christine Simon, @anthropiatweete sur Twitter, qui m'a gentiment invitée à échanger avec elle. Nous avons choisi de nous laisser guider par les mots seuil/passage/porte en nous inspirant chacune d'une photo proposée par l'autre.Vous pouvez lire ci-dessous son "Torii photographique" et,sur son blog Le point imaginaire, mon texte intitulé  "A l'interface"

 

 

vous voilà. vous marchez. vous avancez sur l’avenue. balayage panoramique : kakémonos marchands stands crêpes glaces bannières rouges et jaunes foule tour de plus de vingt étages immeuble contemporain végétation. la ville comme ailleurs.

 

peut-être juste cette foule. des plans successifs en stratification horizontale. une structure sociale en mouvement qui bouge respectant de manière dynamique des espaces orthonormés. en clans. des clans d’un seul ou de plus d’un se meuvent en quadrille. par petits groupes. ceux du centre qui vous tournent le dos créant une zone de vide devant vous. un passage centrifuge qui vous aspire. de chaque côté à l’extérieur d’autres se rapprochent de vous qui forment les bords d’un zonage humain. la fabrique d’une forme au sol. si on redressait à la verticale la figure de la foule elle ferait un portail sans doute de deux linteaux verticaux les hashira et de deux linteaux horizontaux le nuki inférieur le kasagi supérieur elle dessinerait un torii la foule.

 

Ce qu’esquisse la foule. et au-dessus un torii de métal. avant d’arriver à la Tokyo University of Science. un torii en acier. une entrée qui ouvre au franchissement. de la rue à la science. le sacré vers le profane. et la rouille qui l’érode au passage du soleil et du vent.

 

vous ne marchez plus. vous n’avancez plus. vous n’approchez plus. vous vous arrêtez. lumière zénithale. à quatorze heures cinquante le quatre avril deux-mille-quatorze vous avez suspendu le temps. l’horodateur n’affiche pas quelle seconde.

 

une tête s’est levée. une femme. elle est curieuse. elle vous envisage. le savez-vous qu’elle vous envisage. elle le fait comme on le fait ici. no eye contact. vous êtes une étrangère. regard droit impossible. microcoupures. un clignement des yeux. incisions dans la vision pour la vision incisive.

 

et vous derrière votre viseur. peut-être ça qui la gêne. le contact ajourné par vous. la coupure. peut-être ça qui lève sa tête.

 

et vous dans l’objectif. le sentiment intime du moment. quand vous envahit avant le déclenchement de l’obturateur le son voilé des klaxons le staccato des voix le bruit des talons qui frappent les dalles et cette pointe de yuzu qui chatouille votre nez.

 

l’ultime instant pour le pull vert dans le cadre. le pas de le saisir.

 

dans cette seconde où n’est pas encore prise la photo.

 

29 photo11

 

Texte : Christine Simon

Photo : Françoise Gérard/jgg

 

Torii http://fr.wikipedia.org/wiki/Torii

 

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5 juin 2014 4 05 /06 /juin /2014 23:04

 

Le tiers livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de « vases communicants » : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement…  

 

La liste complète des participants est établie grâce à Brigitte Célérier.


Aujourd’hui, Isabelle Pariente-Butterlin et moi avons uni nos voix pour échanger nos impressions et nos idées à partir de notre expérience de la vie sociale.

 

________________________________ 

   Je ferme les yeux. Car je suis fatiguée. De voir. Je me retire en moi-même. J'en ai assez. Du monde. Lassant. Décevant. Épuisant. Le puits sans fond du monde. Sans fin. Bêtise immonde. Je sais. Je ne peux pas m'abstraire. Cette bêtise est mienne. Aussi. Je n'y peux sans doute rien. Je me retire. Hors jeu. Je ne veux plus jouer ! Je n'ai jamais aimé ce jeu. Stupide. Non. Le jeu du plus fort. La bêtise est une force. Un coup de force. Fuir. Ne plus voir ça. Ne plus rien entendre. Pourquoi? Pourquoi cette impuissance? Pourquoi cette puissance de l'innaceptable? De la laideur? De la bêtise? Méchante bêtise. Méchanceté tout court. L'homme est un loup pour l'homme. Ce n'est pas un scoop. Ne me dis pas que tu le découvres! À ton âge? Oui, à mon âge. Mais tu vis dans un autre monde? Oui, je l'avoue. Je me suis déjà échappée. Mais pas assez loin. Pas assez longtemps. Trop bête, sans doute. J'ai cru... J'ai espéré... J'ai pensé... Enfin, le monde, les gens, ne changeront-ils donc jamais? Oui, oh je sais! On ne s'en tire pas comme ça! On ne se tire pas comme cela! Ce serait trop commode! Il faut le vouloir! Souffrir! Être marqué du sceau de l'opprobre! On ne se retire pas du monde sans subir les effets de la désapprobation des autres, de leur haine même, car ils ne supportent pas, non, ils ne supportent pas la différence, une différence qui, croient-ils, les pauvres, les nient, eux qui de toutes façons ne sont rien... Alors, au revoir ou adieu, je ne sais pas très bien, je ne sais rien, je ressens seulement, en ce moment, très fort, tellement fort! Ce besoin de fuir, d'en finir avec cette bêtise, cette méchanceté, ce pouvoir entre les mains de plus fort que moi, que nous, les maudits... Mais pourquoi?


     On ne s’en tire pas, on se retire, on se retire en soi, on se retire au loin, on fait comme on peut, on se retrouve en soi, on se déplace d’un pas, on cherche une place, un peu au loin, on fait comme on peut, on ne trouve pas, il n’y a pas de solution, on essaie de se mettre en retrait, on cherche des diagonales, des perspectives, des replis, on cherche dans le froissé du monde, on est soi, froissé, on est glacé, on se replie, et puis les autres se retournent, se rapprochent, se poussent, nous bousculent, encore une fois nous bousculent, ça a commencé comme ça, c’est comme ça que notre insertion dans le monde social a commencé, et depuis c’est pareil, c’est toujours, c’est ainsi, c’est comme ça, ça ne change pas, on se retire, on se pousse, on se retire en soi, au loin, et les autres, encore une fois, comme toujours, nous bousculent, viennent, s’approchent, on les regarde, et voilà ils nous bousculent, encore une fois, toujours, c’est toujours la même souffrance de la vie sociale.


     Je me souviens… Il y a très longtemps, tellement longtemps ! (C’est ridicule, pourquoi remonter aussi loin dans le temps ?) Dans la cour de l’école maternelle… (Non, tu plaisantes ? Tu n’éprouves quand même pas le besoin de faire appel à des souvenirs aussi puérils ?) Je sais, ce n’est pas sérieux. D’autant moins qu’il ne s’agit pas de méchanceté ni de réelle bêtise, mais tout de même, une sorte d’expérience désastreuse qui aurait pu dégénérer en drame… Tous les autres contre moi, ou plus exactement sur moi, entassés au-dessus de moi de tout leur poids, et je ne pouvais plus respirer !... (Ne crois-tu pas que tu t’égares ? Cet accident qui aurait pu mal se terminer n’aurait-il pas été simplement absurde comme tout ce qui touche à la condition humaine ?) Il n’empêche… J’ai le sentiment intime ou l’intuition que ce petit drame vécu dans la cour de l’école maternelle portait en lui tous les attributs de la souffrance sociale… Quelqu’un jetait des bonbons du haut d’une fenêtre ouverte et les enfants se sont rués en meute vers l’endroit où ils tombaient. J’étais sur leur passage. La meute m’a renversée et piétinée. Et je ne pouvais plus respirer. Voilà. Ces enfants ne faisaient aucun mal et la femme qui lançait des bonbons par la fenêtre était bien intentionnée. Quelle idée aussi de se trouver sur le passage d’une meute au galop ! Finalement, l’imbécile, c’était moi. A moins que…

 

     À moins que nous ne nous reconnaissions, entre nous, que nous reconnaissions comme une marque posée dès l’enfance, appliquée dès l’enfance, demeurée depuis lors, impossible à effacer, comme une première rencontre avec la vie sociale, qui en resterait pour nous l’expérience fondamentale, fondatrice. La première rencontre inimaginée avec la sphère sociale de l’existence, que nous avions d’abord conçue comme un temps limité, celui qui arrachait aux jeux sous les cerisiers en fleurs, dans les feuillages tremblants, celui qui arrachait aux courses sur la colline dont nous connaissions tous les mondes, celui qui demandait de lâcher la main rassurante de l’adulte qui ne se retrouverait qu’au soir et que nous saisirions d’autant plus que jamais, pas un instant nous ne voulions, nous n’aurions voulu la lâcher, que nous retenions, nous pensions que ce ne serait rien, presque rien, et voilà qu’elle ronge tout, qu’elle envahit tout, alors que sa saveur première fut amère, que nous n’oublierons jamais l’amertume de la rencontre avec elle, quelle qu’elle fût, nous en portons la trace dans le regard, quelque chose comme un voile qui ne se lève jamais et entre nous nous reconnaissons, il y a entre nous alors, comme une fraternité, mystérieuse, asociale, intacte de ceux qui n’ont pas oublié que tout ne fut pas toujours ainsi.


     Dans la plus grande des solitudes, où puiser la force sinon dans la reconstitution imaginaire du monde apaisé qui avait accueilli nos bonheurs d’enfant ? L’odeur du lilas, le bouquet tendu à la maîtresse, la promenade du dimanche et la séance de cinéma… sous le parfum singulier de chaque univers particulier, serait-il possible de retrouver la musique profonde jouée au plus profond des cœurs ? Silence… Les cœurs assoiffés se réfugient dans les replis du monde pour tenter de percevoir des notes inaudibles dans le temps de la vie sociale, jouées par des sortes d’anges… Folie ! Folles rêveries improductives ! Il faut sauver les apparences sociales et les rêveurs se cachent, mais ils guettent avidement dans le regard des autres le moindre signe de reconnaissance... Est-il possible que nous soyons seuls à souffrir ? D’autres avec nous ne soulèveront-ils pas le voile ? Sommes-nous si coupables d’avoir à nous cacher ? Les rêveurs s’efforcent de détourner les soupçons, de prouver qu’ils ne sont pas des sujets inadaptés à la vie sociale, insoumis ou révoltés, mais dans leur regard se lit la conviction que la vraie vie est ailleurs, et on les poursuit de sarcasmes, on intente leur procès…  


     Nous ne sommes pas seuls, n’est-ce pas ?, à souffrir, je ne le crois pas, je ne peux pas le croire, je les regarde, en réunion, ils sont assis, tous, autour de la même table dans la même salle sans âme, je regarde, un instant, je n’écoute pas, je ne les écoute, je les regarde, ils souffrent, tout le monde souffre, je détecte les traces de la souffrance sociale sur leur visage, il se crispe, d’eux tous, le visage se crispe, de différente manière, de différente façon mais de tous, les visages se crispent, je les regarde, j’observe, tics nerveux, ils tournent des crayons, ils les mordent, ils défont et refont des gestes, je les observe, tics nerveux, nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes pas les seules, cette souffrance se détecte, crispe, transforme, ravine, abîme, déforme les visages, les sourires, les expressions, nous ne sommes pas seuls à souffrir de cette souffrance, sociale et quotidienne. Mais pourquoi alors sommes-nous seules à le dire ?


     Pourquoi ? Alors que le simple aveu de nos faiblesses et de nos aspirations pourrait lever les verrous de l’indifférence ou de l’hostilité ? Pourquoi s’obstiner à se cacher derrière les masques convenus de la sociabilité ? Quelle sociabilité ? Venue du fond des âges au point de se confondre avec la nature humaine, ou bricolée, falsifiée, ordonnée par de nouveaux maîtres issus du monde moderne ? Sommes-nous de nouveaux esclaves d’un monde en apparence plus clément, ou les éternelles victimes d’un jeu social immuable qui veut la soumission comme gage d’une efficacité qui serait la condition de notre survie ? Mais alors… Pouvons-nous nous satisfaire de l’excuse convenue que nous serions en vie dans le meilleur des mondes possibles ? N’est-ce pas ce clivage qui sépare les rêveurs insatisfaits des marionnettes dont le jeu social tire les ficelles ? A moins que même les marionnettes, les marionnettes aussi… ne gardent tout au fond de leur cœur la trace des paradis perdus, que la persistance des aspirations refoulées n’entre en conflit avec le format de la vie réelle, et que les tics nerveux, toute cette souffrance qui se détecte dans les expressions et dans les gestes, n’en soient qu’une si dérisoire conséquence…


     Nous : marionnettes, ficelles. Je me souviens de ce jouet, il me fascinait, je lui transmettais maladroitement mes gestes maladroits, par le biais des ficelles, et de cette petite pièce de bois. Je ne pensais pas que, des années plus tard, nous tiendrions de nous, marionnettes, ficelles, les cordes qui nous meuvent. Je ne pensais pas que je serais de moi la marionnette, articulant des phrases, articulant des gestes, nous, marionnettes, ficelles, de nous tirant les fils de nous, dans le social, nous, marionnettes, ficelles. Et puis à un moment, car c’est inévitable, et je ne vois pas comment il pourrait un jour en être autrement, de nous marionnettes, ficelles, les fils se distendront, nous finirons dans un coin, abandonnés, nous finirons ce que nous sommes, et d’être ce que nous sommes, pantins désarticulés. Nous, marionnettes ficelles. Et comme je préférais ce jouet, et comme il était tendre.


     Car l’enfant, dans l’immédiateté de ses jeux, croit avoir prise sur le monde. Rien ne limite la liberté de ses projections aventureuses dans l’univers qui se déploie entre ses mains ouvertes. Les personnages qu’il investit sont à son image, libres et joyeux. Les marionnettes avec lesquelles il dialogue provoquent autant qu’elles suivent le mouvement des ficelles en prenant part à la danse, car l’enfant ne supporterait pas que ces morceaux de bois soient privés de leur âme ! Aussi, l’ancien enfant devenu adulte proteste contre cette étrange inversion qui a fait de lui un Pinocchio puni… Que peut-il faire pour retrouver la liberté, pour rejoindre le monde rêvé de son enfance ? Les autres marionnettes du jeu social accepteraient-elles de faire un pas de danse avec lui ? Jour après jour, il s’attelle consciencieusement à son travail car il sait que l’entretien de la vie, individuelle et collective, nécessite de lui des efforts. Mais à quoi servirait-il de vivre s’il fallait renoncer à la joie ? La nostalgie fait place au découragement, guetter dans le regard des autres l’étincelle qui rallumerait le feu devient désespérant…


     L’ancien enfant devenu adulte ? Vois-tu, je ne sais pas. Que reste-t-il de nous (enfant) dans nous (adulte) ? Ton affirmation me pose cette question. Avons-nous à ce point renoncé, avons-nous à ce point reculé que nous ne soyons plus que des enfants, anciens, vieillis, trahis ? Avons-nous à ce point appris à renoncer que nous ne soyons plus que cela, pauvre de nous ? Ce serait tout à fait tragique n’est-ce pas ? Qu’avons-nous fait de l’enfant que nous avons été ? À quel moment l’avons-nous abandonné ? L’avons-nous seulement abandonné ? Je ne me souviens pas. Si c’est le cas, s’il en est ainsi, ce ne peut être qu’à un moment froid de la vie, sous une pluie fine et glacée. Avons-nous lâché sa main, un soir où nous pleurions, un matin où nous désespérions du jour, même du jour à venir ? De cela même je ne suis pas sûre, à cela même je ne comprends rien, et toutes les hypothèses, fragiles comme elles le sont, se heurtent comme des papillons de nuit à la lampe suspendue dans le soir et dans le jardin. Mes questions ne sont pas des affirmations : réponds-moi.


     Oh non, pas toi ! Toi, tu n’as pas renoncé, tu n’as pas abandonné cet enfant qui continue de te tenir la main surtout quand la pluie est fine et glacée ! Surtout quand, au bord des larmes, tu sens le désespoir t’envahir au point de tomber dans le gouffre épouvantable d’une sorte de folie ! Mais n’est-ce pas alors cet enfant qui te prend la main, qui t’encourage, qui te guide doucement vers le point de lumière qui t’aidera à remonter ? Vois-tu, je me débats comme toi et avec toi entre toutes les hypothèses qui tourbillonnent dans ma tête comme les papillons de nuit attirés par la lumière… Est-il seulement possible de ne pas finir par se brûler les ailes ?... Je crois cependant que le salut est dans ce mouvement du langage qui emporte nos phrases vers la promesse d’une illumination…


     Oh ce rêve de l’envol ! Et comme il nous tient, n’est-ce pas ?, et comme il nous empêche de nous aller écraser sur le béton brut du monde. Parfois, il me semble que le rêve de l’envol ne sera jamais son absolu, qu’il lui manquera toujours la réalisation, et que nous qui rêvons le ciel nous en reviendrons toujours et immanquablement sur le sol en béton d’un hôpital. Qu’il soit lustré, ciré, et que des lessiveuses activées par des femmes au regard fatigué et aux horaires impratiques pour elles les nettoient une fois par jour ne change rien à l’affaire : nous manquons immanquablement notre rêve de l’envol, et finissons toujours de la même manière, entre les murs de béton d’un hôpital qui empêche tout envol. Parfois, vois-tu, je désespère et il me semble que l’espoir est une torture plus sûre encore, qu’il vaudrait mieux prendre son tour dans les escalators et ne pas tenter de courir vers la sortie du métro.


     On n’empêchera jamais Icare de chercher à s’envoler, de se jeter dans le vide en se confiant à la force du vent, d’ouvrir les bras pour  tenter d’étreindre le monde. Icare ne se fait pas d’illusions, il sait qu’il se brûlera les ailes et que sa chute sera fatale. Mais tel est son destin. Et quand la vie l’oblige à prendre son tour dans les escalators du métro souterrain, il ronge son frein, patiente en rêvant d’un nouveau départ, à moins qu’il ne croie mourir de désespoir ou d’ennui. Icare ne sera jamais un robot. On oblige parfois (souvent ?) les êtres humains à se comporter comme des robots. On les fait travailler à la chaîne. On exige d’eux des normes de productivité et de compétitivité. On les chronomètre, on les fait marcher à la baguette et au son du tambour. On les discipline, on leur apprend à être de bons petits soldats. Pour obtenir d’eux les comportements souhaités par les chefs, on manie la carotte et le bâton. Icare est ainsi changé en âne. Mais les ânes, même les ânes se rebiffent. Alors, Icare ?...


     Nous sommes tous des Icare. Il faut imaginer Sisyphe heureux, disait Camus. Cela, vois-tu, je parviens à le faire. Je parviens à imaginer Sisyphe heureux quand il pousse son rocher, et même, à la limite, quand le rocher retombe, je parviens, vois-tu, à suivre l’idée jusque là. Mais tous ces Icare que tu identifies dans le monde, tous ces Icare qui passent, rasés de près et sentant l’after-shave, un peu trop d’ailleurs, et elles, maquillées, perchées sur leurs talons, tous ces Icare partant dans leur journée comme on part au combat, un combat dont on sait qu’il recommencera exactement semblable le lendemain, est-ce cela qu’on appelle le bonheur, sont-ils heureux ? Je les regarde sur les escalators, dans le métro, dans la rue, traversant en foule quand le feu devient vert, je les regarde, et je ne peux pas m’empêcher de penser, comme toi, qu’ils sont des Icare, tous, et que sans doute ils rêvent d’envol… mais après tout je n’en sais rien. Les autres me sont un mystère insondable.


     Mystère insondable, en effet, que l’intériorité de l’autre en face de soi. Pourtant, autrui n’est-il pas notre semblable ? J’ai cette faiblesse de continuer à penser que nous sommes essentiellement fraternels, malgré tout ce qui me répugne dans les comportements de certains, malgré tout ce qui agresse l’idée que je me fais du bien commun. Car, en réalité, je déteste les jeux de rôle que la collectivité me pousse à jouer ! Je n’ai pas envie de maquiller mon visage ou de mettre en péril mon équilibre sur des talons hauts pour convaincre les autres de ma féminité ! Je n’ai pas envie de jouer au cadre dynamique qui ne vit que pour la prospérité de l’entreprise qui l’emploie ! Je n’ai pas envie de correspondre à cette battante donnée en modèle censée faire l’impossible pour concilier toutes ses vies, professionnelles et privées ! Je n’ai pas envie de faire croire que dans la vie tout est nickel, sans taches et sans problèmes… Je rêve d’un monde où je me sentirais mieux, où je trouverais plus facilement ma place, dans lequel mes possibles qualités ou faiblesses seraient reconnues et acceptées en toute simplicité, un monde où je pourrais me déployer... Mais alors, pourquoi ? Pourquoi cette comédie ?...


     Pourquoi alors ces souffrances que nous nous infligeons ? C’est à n’y rien comprendre, ou du moins, pour moi, je n’y comprends rien : nous nous imposons des souffrances et nous les imposons aux autres, blessures, la vie sociale est une suite de blessures, c’est à n’y rien comprendre, ainsi, nous souffrons tous, comme des chiens, à nous entre-déchirer, «comme des chiens, oui, comme des chiens », ainsi nous nous déchirons tous sur les barbelés de la vie sociale, nous nous déchirons, souffrances, imposées, de la vie sociale. Mais seulement parfois, inespérées, se déploient les modulations d’une voix fraternelle : miraculeuse.


     Miraculeuses modulations d’une voix fraternelle… « Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui ; parce que c’était moi. » Paradoxe que la singularité de cette amitié qui semble inexplicable et du caractère universel prêté à l’union des deux âmes amies, telle que l’évoque Michel de Montaigne dans les Essais, Livre I, XXVIII, « De l’amitié »… Amitié unique et miraculeuse qui pourtant, par son caractère universel, serait une expérience accessible à chacun ? N’est-ce pas Etienne de La Boétie lui-même qui, dans le Discours de la servitude volontaire, apporte des éléments de réponse ? L’amour de la servitude sociale se serait malencontreusement substitué au désir premier de liberté des êtres humains depuis leur chute accidentelle dans la soumission aux tyrans, qui usent de multiples stratagèmes dérivatifs pour les maintenir dans cet état. Mais certains sentent néanmoins le poids du joug et ne peuvent s’empêcher de le secouer : « Ceux-là ayant l’entendement net et l’esprit clairvoyant, ne se contentent pas… de voir ce qui est à leurs pieds, sans regarder ni derrière, ni devant… Ceux-là, quand la liberté serait entièrement perdue et bannie de ce monde, l’y ramèneraient ; car la sentant vivement, l’ayant savourée et conservant son germe en leur esprit, la servitude ne pourrait jamais les séduire, pour si bien qu’on l’accoutrât. » La vie sociale nous détourne de l’essentiel, de ce que nous sommes en profondeur. Elle nous divise et nous jette les uns contre les autres dans la négation de ce que nous sommes vraiment : « Ce qu’il y a de clair et d’évident pour tous, et que personne ne saurait nier, c’est que la nature, premier agent de Dieu, […] nous a tous créés et coulés, en quelque sorte au même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt frères. »


     Alors, si je comprends bien, la figure de la réconciliation est impossible. Il reste à chercher des instants de grâce, mais ils sont, ils demeurent, ils demeureront incompréhensibles et nous ne pourrons que les espérer, les implorer, les invoquer, mais ils demeurent incompréhensibles et inespérés. Comme est inespéré le don pur de l’amitié. J’aurais aimé penser, vois-tu ?, que la réconciliation avec le monde social était possible. Parce qu’au fond je ne sais pas pourquoi nous en souffrons tous, et prolongeons tous cette souffrance à l’identique. C’est bien ce qui se passe et c’est un paradoxe : nous prétendons tous en souffrir, nous prétendons tous que le monde social nous est une blessure, et nous prolongeons tous cette souffrance possible, nous la maximisons, la radicalisons au lieu de l’atténuer, au lieu de la détourner. Est-il donc impossible de trouver la clef, et de rendre, supportable, simplement supportable, la vie sociale ? J’attendrais que nous changions cela. J’attendrais de la politique, même, vois-tu ?, que nous nous attachions à changer cela. Au lieu de le réitérer et de l’amplifier. Est-ce absurde ?


     Je crois qu’il nous faut travailler dans deux directions : chercher à retrouver, dans la mesure du possible, notre liberté première et accepter de penser que malgré tout, malgré le dégoût souvent ressenti et la honte d’appartenir à la gent humaine, responsable des horreurs de l’Histoire, l’étincelle et la grâce restent possibles pour chacun d’entre nous. Sinon, ce serait, effectivement, à désespérer… Le don pur de l’amitié nous aide à entretenir la flamme. Nous passons dans le monde et nous sommes des passeurs. Puissions-nous transmettre ne serait-ce qu’un peu de lumière ! Mais le désespoir guette, et les forces manquent, l’envie d’en finir avec le monde devient plus forte que tout… Restent, heureusement, les modulations de la voix fraternelle ! Se réconcilier avec le monde social n’est pas vraiment possible puisque nous ne pouvons y être pleinement heureux. Je sais, néanmoins, que si l’école de la République ne m’avait pas appris à lire et à écrire, je ne pourrais pas, aujourd’hui, déployer toutes ces phrases qui me donnent un espace de liberté. Il existe un bien commun pour lequel il est légitime de lutter par les voies de la politique, et dont il faut sans cesse repréciser les contours. Le monde social ne peut s’améliorer que par la Loi qui substitue le Droit à la loi du plus fort. Mais pourquoi donc les tyrans trouvent-ils si facilement des serviteurs volontaires ?  

 

 

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7 février 2014 5 07 /02 /février /2014 00:04

 

Le tiers livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de « vases communicants » : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement…  Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.

 

La liste complète des participants est établie grâce à Brigitte Célérier.


Aujourd’hui, j’ai le grand plaisir d’accueillir ici Dominique Hasselmann tandis qu’il me reçoit sur son blog Métronomiques.  

 

________________________________  

 

 

 

    Tu te souviens quand nous étions partis jusqu’en Irlande du Nord, à Belfast, en 1970 ? Tu étais prof d’anglais à Dole (Jura), en plus ça pouvait servir là-bas, et j’aimais l’accent sortant de ta bouche maquillée.

 

    Je conduisais ma Coccinelle rouge – « Keep left ! » indiquait le papillon que l’on m’avait collé sur le pare-brise, juste à la sortie du ferry – et je faisais surtout attention aux carrefours, drôles de sensations au début.

 

     La traversée de la mer d’Irlande avait été horrible : une véritable tempête, je fus malade comme un chien alors que toi, tu tenais à peu près le choc, et avec le sourire. Dans les coursives, ça sentait le vomi, tout basculait sans cesse d’un bord à l’autre, j’aurais voulu mourir ou dormir, ne plus être trimballé comme un fétu de paille sur des vagues impitoyables.

 

     Puis nous sommes arrivés, le « conflit » durait toujours : dans Belfast, les jeeps militaires fonçaient à toute allure, vitres grillagées, et les patrouilles à pied des soldats se faisaient avec certains d’eux marchant à reculons pour se protéger d’attaques dans le dos. Des murs séparaient la ville, comme à Berlin. Il y avait déjà de grands portraits peints sur les murs de briques, mais ce n’était pas encore ceux des morts du « Bloody Sunday » de 1972 (Paul Greengrass, le bien-nommé, en fit plus tard un film en 2002).

 

     En 1992 sortait sur les écrans The Crying Game, de Neil Jordan (1992), un film très fort sur l’engagement dans l’IRA. Quelques années passaient et Sorj Chalandon publiait Mon Traître  (Grasset, 2008) et je retrouvais dans ce livre Belfast telle quelle – mais j’avais perdu depuis longtemps ma prof d’anglais.

 

     Alors, quand j’ai reçu la photo ci-jointe prise à Derry (ne jamais dire Londonderry !), même si nous n’étions pas allés dans cette ville, haut-lieu de la résistance aux troupes anglaises, j’ai reconnu ce type de paysage, l’herbe verte comme l’une des bandes du drapeau, la couleur indéfinissable du ciel, les maisons alignées comme des corons du Nord de la France, et ces peintures murales représentant des scènes et des figure d’hommes ou de femmes plutôt que des signes parfois cabalistiques.

 

     J’aperçois aussi le Bogside, ce quartier célèbre, et un pub à son nom, puis un mini-market intitulé Little Richard (rock against the bullets), puis, sur la gauche, après ces immenses visages qui nous dévisagent, un bâtiment bleu avec des tuyaux jaunes comme un Centre Pompidou en réduction.

 

     Cette photo ressemble finalement à une peinture : celle de souvenirs approchants ou à l’approche desquels ralentit le moteur du navire avant l’accostage au port.


 

S 5 Estampe

 

      texte : Dominique Hasselmann

      photo : Françoise Gérard

 

 


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30 janvier 2014 4 30 /01 /janvier /2014 12:37

Le tiers livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de « vases communicants » : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement…  Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.

 

La liste complète des participants est établie grâce à Brigitte Célérier.

 

[VASES COMMUNICANTS]

 


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29 décembre 2013 7 29 /12 /décembre /2013 00:04

(Ce texte a été publié une première fois sur le blog de Giovanni Merloni [link] à l'occasion des Vases communicants de décembre 2013.)


   Les mots me manquent... Je me sens incapable... Je ne saurai pas... Trop, trop d'émotions, de sentiments confus et contradictoires me submergent soudain en découvrant les simples mais très belles photos que m'a envoyées Giovanni... J'imagine que le sourire confiant, que le visage radieux de cet enfant est le sien... Aux commencements de sa vie... Quand tout n'était encore vraisemblablement que promesses... Quand il n'était possible d'imaginer que bonheurs présents et à venir...

Giovanni 1

 

   Au milieu de tous ces enfants, frères, sœurs, ou peut-être cousins cousines, une femme fait converger sur elle leurs regards aimants et heureux. Manifestement, elle les a aidés à grandir en les armant de son amour pour affronter la vie, et les voici, grands, adolescents, jeunes gens, sur cette photo où les visages moins ronds n'ont pas complètement trahi l'enfance, autour de leur mère ou de leur parente dont les cheveux ont commencé de grisonner...

Giovanni 2

 

   Trahir, le mot est lâché... Sans doute suis-je déjà en train de trahir Giovanni, aussi bien l'enfant qu'il a été que l'adulte se souvenant de cette enfance qui lui est propre et dont lui seul a la clé!... Mais n'est-ce pas plutôt l'enfant qui abandonne l'adulte à ce qu'il est devenu?... Nostalgie de l'enfance, que cherchons-nous à découvrir ou à déchiffrer sur ces visages qui se sont laissés photographier par les adultes d'alors pour fixer les moments de bonheur et baliser la vie qui passait?... L'enfance est-elle vraiment cet âge d'or qui nous tend le trésor de ses souvenirs? Quelle perception avions-nous de nous-mêmes quand nous n'étions encore que des enfants soucieux de devenir grands et de quitter les enveloppes trop protectrices? La vie ne se montrait-elle pas déjà un peu rude?... La grâce de l'enfance est parfois meurtrie par l'expérience du malheur; et même les enfances heureuses sont blessées par l'apprentissage de la vie qui montre fatalement l'envers du décor... Comment se défendre contre les monstres, réels ou imaginaires?... Les petits d'hommes sont ambivalents comme leurs parents, et balancent entre leurs peurs et leurs joies!...

 

   Dans la famille de Giovanni, les enfants sont heureux et font la fête. Le petit Giovanni est fier de sa cravate qu'il arbore en bombant la poitrine entre son frère et sa sœur.

Giovanni 3

 

    "Oui, c'est moi, je suis en train de devenir grand et cette cravate le prouve. Pourquoi me regarder comme un enfant?"... Comme si les adultes eux-mêmes n'étaient que des adultes et n'avaient pas gardé au fond de leur cœur une part d'enfance?... Mais quelle est-elle? Comment la définir?... Le jeu et toute l'inventivité qui lui est associée est sans doute ce qui sépare ou réunit au plus haut point, selon les degrés d'interférence, le monde des adultes et celui des enfants...

 

   Mais voici que je parle de l'enfance en général et que je m'éloigne de l'enfant Giovannino. Quels étaient ses rêves mais aussi ses cauchemars? Quel était l'axe structurant autour duquel l'enfant apprenait à penser sa/la vie? La première photo a été prise à Paris, la seconde à Siena. La France, l'Italie. Ce partage géographique (du côté de... ou de...) a nourri son imaginaire. Quels reliefs particuliers le bilinguisme apportait-il aux histoires lues ou racontées?

Giovanni 4

 

   Infans, l'enfant qui ne savait pas encore parler découvre que les émotions qui bouillonnent dans les coeurs correspondent à des mots qu'il est possible de cueillir sur les pages d'un livre. L'adulte aimée est une lectrice, une liseuse qui adorait la France et la peinture de Renoir.

Pierre-Auguste Renoir 067

 

   Giovannino aimera la peinture autant que les mots. Il entame à cette époque, au gré des déplacements de sa famille entre l'Italie et la France, un long voyage intérieur qui n'aura jamais de fin, et qui s'apparente à un exil. Pour rassembler tous les morceaux de sa vie, Giovanni apprend à composer de grands tableaux qui ressemblent à des puzzles. C'est son jeu de prédilection. Il y a toujours deux ou trois pinceaux dans sa trousse de voyage, à côté d'un stylo. Car il s'est mis aussi à raconter de longues histoires foisonnantes qui parviennent à peine à traduire le bouillonnement des sentiments qui mènent la danse tout au fond de son coeur. Il y a tant et tant à explorer! Mais aussi tant de choses essentielles ou inessentielles (comment savoir?) à laisser de côté au moment des départs et à tenter de retrouver pour se ra-ressembler (à) soi-même et se sauver de l'oubli! Tâche épuisante et vouée à l'échec, car les mots sonnent toujours un peu comme le tocsin de la mort... Le geste d'écrire ou de peindre se fond alors en un seul qui s'apparente à celui qui nous vient des profondeurs de l'histoire humaine quand les premiers hommes avaient découvert et mis en oeuvre le pouvoir de laisser des traces sur les parois de leurs cavernes...  Que ne connaissaient-ils l'informatique à cette époque! Prescience des chamans qui tentaient d'ouvrir des liens sur les portes de l'au-delà?!... Nous portons tous en nous l'énigme des premiers jours et de la fin du monde... 

 

   Mais que serait ce billet sans la personne hors champ qui a pris les photos qui lui ont servi de support? Que conclure sinon que l'invisible permet le visible?... Et que, à l'inverse, le geste de l'inscription dans le monde par les chamans-artistes, en ouvrant-ouvrageant des espaces-temps qui, sinon, resteraient hors de portée, permet la révélation de ce que le réel a d'insoupçonné?... Magie de l'écriture et/ou de la peinture... n'est-ce pas, Giovanni?

 

   Giovanni devenu grand devient un père visible au milieu de ses propres fils... Mais alors, si ce n'est plus le père qui prend les photos, qui donc se dissimule hors champ cette fois?

Giovanni 5

   Depuis la nuit des temps, c'est ainsi, les grands transmettent aux petits. Les fils reçoivent donc du père ce qu'il a de meilleur, les mots et les couleurs.

Giovanni 6   Paolo le cadet suivra le père à Paris, tandis que l'aîné Raffaele restera à Rome. Ainsi continuera l'histoire d'une famille métronomique...  link

 

   Les humains ont inventé la photographie automatique. Le regard de Gabriella ne rencontre pas, ici, celui de son père.  

Giovanni 7

   Sans doute a-t-il choisi de s'effacer momentanément pour prendre en artiste cette photo de sa fille... De profil mais en réalité de face, brouillage de la perspective, mise en abyme... Une soeur et deux frères, trente ans auparavant, à Siena... etc, etc... Giovanni 2

 

 

 

 

      texte : Françoise Gérard

      photos : Giovanni Merloni

 

 

 

 

       

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6 décembre 2013 5 06 /12 /décembre /2013 00:04

 http://www.youtube.com/watch?v=TeLAGblQhZQ 

 

 

     Dans le cadre des Vases communicants ( link ), imaginés par François Bon (Tiers Livre: link) et Jérôme Denis (Scriptopolis: link), animés et coordonnés par Brigitte Célerier (link), j'ai le plaisir d'accueillir aujourd'hui sur mon blog Giovanni Merloni qui m'a gentiment invitée à échanger avec lui sur le thème de l'enfance. Lui-même publie sur son blog (link) le texte que ses photos m'ont inspiré.

 

    Auparavant, car l'actualité récente m'y invite, je souhaite mettre en exergue, comme illustration des tragédies de  l'enfance, cette photo d'un père et de son fils Roms pourchassés par les autorités françaises:

748231-policiers-francais-montent-garde-alors

    

     Nous sommes tous des Roms

     http://www.amnesty.fr/AI-en-action/Discriminations/Discriminations/Actualites/France-les-Roms-condamnes-l-errance-9463

 

 

   

Croisement et point de fuite, rencontre avec une de nos deux enfances:

 

   texte : Giovanni Merloni

   photos : Françoise Gérard

 

 

F 1 

   

001_ la barque à voile

 

Les enfants âgés de quatre à sept ou huit ans sont des hommes (ou des femmes) en miniature, capables aussi bien de chevaucher le vélo de leurs parents que de se faufiler dans une minuscule barque jouet.  

 

Ces objets — le guidon de la bicyclette, la voile en plastique de la barque — ont la fonction d’autant de rochers, auxquels s’accrocher, comme aux genoux de la mère ou le veston rugueux du père. Autour de ces petits riens de métal ou de bois (ou aussi en plastique), les enfants ont l’indomptable pouvoir de construire des mondes merveilleux où le désir se transforme en découverte et la peur se fabrique un abri toujours adapté.

 

Les enfants n’ont pas besoin de s’évader dans des endroits forcément confortables, car ils possèdent la pleine conscience de l’inadéquation des instruments de leurs fantaisies et en même temps ils devinent l’existence d’un lien robuste entre ces objets récupérés n’importe où et les mondes extraordinaires où leurs fantaisies vont s’installer. 

 

Je crois, ma chère Françoise, que nous avons beaucoup joué, tous les deux, avec la boue et les débris abandonnés dans les terrains vagues, que tu as secondé ton frère dans le jeu du ballon, comme je faisais avec mon frère à moi, souvent n’utilisant que de vieilles boules dégonflées ou donnant des coups de pied à des cailloux…

 

 

 

 

F 2 1957-copie-1 

   

002_frère et sœur (particulier)

 

« Cette photo a été prise près de l'endroit où, cet été-là, j'ai failli me noyer. C'est mon frère qui m'a repêchée avec des amis qui jouaient non loin ». J’imagine un fleuve ou un ruisseau apparemment tranquille. Peut-être, ce jour-là, tu essayais de saisir quelques objets qui flottaient au fil de l’eau (une plume blanche ?). Moi j’étais plus petit quand une femme moins distraite vis-à-vis des autres s’aperçut de cette petite île — un slip blanc qu’on aurait pu confondre avec une boule de savon — affleurer de la surface lessiveuse du lavoir.

 

Évidemment, je ne me souviens de rien. D’ailleurs, après un long silence (assez inquiétant chez mes parents), le premier mot que j’ai prononcé de ma vie a été « acqua », c’est-à-dire « eau ». Donc je suis peut-être fondamentalement amphibie.

 

Mais toi, est-ce que tu te souviens de ce jour « particulier » ?

 

En te lisant, suivant les péripéties de tes textes, on a souvent l’impression d’avoir juste la bouche et le nez en dehors d’une mer heureuse et de s’y aventurer avec toi, sans aucun souci des distances ni des tempêtes. La mer et l’eau en général sont peut-être, pour toi, des moyens essentiels pour te rapprocher, physiquement et sentimentalement, de questions cruciales et engageantes. D’ailleurs, « le vent qui souffle » auquel s’inspire ton blog, c’est ton toit, ton baldaquin, ton abri. Si le toit est le vent même et que la mer est l’unique point d’appui, tu es bien courageuse, car la seule chose qui reste solide c’est toi, dans toutes les traversées que tu entames et que tu achèves.

 

 

 

 

F 2 1957

   

003_frère et sœur (complète)

 

« Je sais bien que je n'ai pas l'air d'une fille et qu'il fallait que je le précise… ». Oui, j’avais appelé cette image, selon l’usage italien « le portrait des deux frères », bien sachant que la petite sur la droite est une jeune fille, arborant d’ailleurs un foulard autour du cou.

 

Curieusement, cette photo pourrait se titrer « Croisement et point de fuite ». Car en fait la petite Françoise est juste au centre d’une curieuse perspective reliant sur trois niveaux une rue avec son garde-corps en ciment et briques, un mur en briques auquel tu t’appuies et l’autre mur en pierre blanche qui borde un petit gouffre végétal. Les axes visuels convergent vers leur point de fuite tandis que les jambes maigres de ton frère se croisent. Il y a donc un sentiment d’attente ou de vrai suspens : d’un côté, le bonheur d’avoir la vie sauve, une joie évidente moins dans les regards des deux jeunes que dans l’esprit du photographe ; de l’autre côté, l’épée de Damoclès http://fr.wikipedia.org/wiki/Épée_de_Damoclès du reproche voltigeant sur les deux têtes. Est-ce que ton frère ressentait ce jour-là le même sentiment de culpabilité du frère du Petit fugitif ? http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Petit_Fugitif_(film,_1953)    

 

 

 

 

F 3 1959 Armentières 

   

004_famille à Armentières

 

« Ici, j'ai grandi et je suis habillée en fille… »

On ne se souvient que des beaux jeux, des livres aux illustrations colorées, de l’oncle sympathique ou de la tante bizarre. On ne se souvient pas de la faim. Notre génération, issue de l’après-Seconde Guerre, n’est pas morte de faim. Pourtant, nous avons bien sûr connu l’importance des repas et sommes redevables d’une reconnaissance infinie à toutes ces mains qui, souvent au prix de grands sacrifices, se sont précipités pour nous offrir le pain, les pommes de terre, les soupes ou le pot au feu. À cette époque-là, le fait de pouvoir manger c’était toujours des prix gagnés en échange de notre obéissance et bonté envers les autres. Sinon, au lit sans dîner !

 

Dans cette image de famille, je crois te reconnaître au centre, les yeux un peu resserrés pour te défendre du soleil. Un soleil bienveillant, qui caresse toute la famille d’une couche affectueuse. Je crois que vous êtes à Armentières, dans le nord de la France, en hiver, que vous venez de déjeuner et que vous êtes heureux. On le voit aussi bien dans l’air poli de ton frère (qui ne croise pas les jambes, ici) que dans le combatif de ta mère. Je trouve en elle une singulière affinité avec mes cousines de Romagne — Dora et Luisa — aussi vivantes que sérieuses, aussi prêtes à la lutte que disponibles aux sourires innocents. D’ailleurs, on dit que les gens de Romagne héritent beaucoup des anciens peuples de la Gaule…

 

 

 

 

F 4 

   

005_La guerre des boutons

 

Dans cette photo, l’enfant armé de pistolet ressemble beaucoup à ta mère et bien sûr à toi aussi. À sa gauche, je crois reconnaître son frère cadet. C’est une photo qui exprime parfaitement la paresse de celui ou celle qui actionne l’appareil photo et reflète en même temps ce typique climat de recherche d’un motif, d’un prétexte pour entamer un jeu, pour inventer une situation : « J’étais… Napoléon ! », « J’étais mon grand-père en charrette ! », « J’étais Jeanne d’Arc », « J’étais… »

 

 

 

 

F 5

   

006_La trappe

 

Ici, tes deux enfants ont déjà grandi. Et pourtant, ils aiment se faufiler dans une trappe. Il n’y a rien de plus suggestif qu’une porte serrée à l’embouchure d’une galerie souterraine. L’imagination part au galop.

 

Bien avant l’enfance, je crois, quelque dieu invisible décide pour nous le numéro magique qui nous fera de guide. Si on est enfant unique, ce 1 qu’on nous colle à la peau nous donne surtout des sentiments de responsabilité et de solitude. Si l’on est deux, ce numéro 2 nous poursuivra pendant toute la vie :

— M’accompagnes-tu ?

— C’est à toi de porter le cartable, maintenant !

— Tu en profites parce que je suis plus petit.

— Allons chercher quelqu’un pour jouer aux trois Mousquetaires !

 

En fait, le duo devient presque toujours une force dans les groupes de gens du même âge, surtout s’il y a entre les deux partenaires un expérimenté jeu d’équipe. Mais après, c’est la vie qui nous débarque dans une troupe nombreuse ou exigüe, et ce n’est pas évident de se débrouiller si quelqu’un d’entre nous est l’Eau et qu’il a affaire avec le Vent (qui souffle), la Terre (au-dessous de la trappe) et le Feu (de son âme inquiète).

 

 

 

 

F 6 

   

007_Le vélo

 

« Plus tard, je n'ai peut-être pas encore vraiment l'air d'une fille, mais il est plus facile de faire du vélo en pantalon. »

En voyant cette photo, j’ai tout de suite imaginé une promenade avec toi au bord d’un lac. Moi je me promène à pied, tandis que toi tu avances en bicyclette. Moi je suis obligé de courir un peu, mais toi tu es toujours prête à t’arrêter pour m’attendre. Ou alors tu décides carrément de marcher toi aussi, tout en poussant le vélo par le guidon.

 

De quoi parlerions-nous ?

Moi je me lancerais dans une divagation sur le thème de l’inconscience. Elle était absolument nécessaire si l’on voulait que ton portrait fût sincère et inoubliable. Donc, en raison de la beauté évidente de cette photo je conclurais que tu étais bien consciente du fait que quelqu’un essayait de t’encadrer dans une photo. Pourtant tu n’avais pas résisté dans le rôle du modèle insouciant ou indifférent, car tu étais intéressée à celui ou celle qui te pointait. Il ou elle te parlait, et tu t’oubliais de toi-même…

 

Dans un esprit philosophique qui me dépasse toi, au contraire, tu affirmes qu’à ces temps-là « les corps croyaient avoir une âme ». Donc, pendant que le photographe suait et soufflait, essayant tout de même de te convaincre — à arrêter la bicyclette et dire tout simplement « Cheese » —, ton corps se tenait péniblement en équilibre entre le vent et l’eau. Cela donnait à ce corps même l’illusion d’avoir une âme et cette âme en profitait pour voltiger comme un nuage invisible entre tes yeux et l’objectif qui les photographiait…

 

Mais, où allait vraiment cette bicyclette ? Et maintenant, où s’est-elle installé cette chasseuse de papillons poussée par le vent qui souffle ? Apparemment, un bûcher de la mémoire — ou le manque de temps pour s’y appliquer — empêche de reconstruire un à un les passages d’une vie de réflexions et de rêves, mais aussi la maturation d’une intelligence vive, subtile, émotive, ouverte vers les autres. Pourtant, cette fois-ci, en dépit de toutes les techniques ultra-sophistiquées du futur qui nous hante, il ne nous suffira pas de « cliquer pour agrandir » la photo et y voir l’éclair bruyant et venteux qui souffle dans tes yeux.

 

Siffle le vent, hurle la tempête

Souliers cassés et pourtant il faut continuer

Pour conquérir le printemps rouge

Où se lève le soleil de l'avenir

Pour conquérir le printemps rouge

Où se lève le soleil de l'avenir…

 

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fischia_il_vento

 

Chanson : Fischia il vento, urla la bufera

http://www.youtube.com/watch?v=TeLAGblQhZQ

 

 

 

 

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