Elle avait marché à travers les champs laissés en friche qui séparaient l'autoroute de la cité où elle habitait. Ce n'était pas encore l'aube mais l'eau bleue de la nuit avait pris l'éclat qui annonce la révélation attendue de la lumière du jour. Elle aimait suivre du regard le double sillon lumineux des phares jaunes et des feux arrière rouges qui filaient en sens inverse et finissaient par devenir invisibles de l'autre côté de la brume. De loin, les immeubles de la cité paraissaient presque beaux parce qu'ils étaient associés à l'idée d'un départ possible et qu'à cet instant précis de la nuit finissante, du matin frémissant, on se sentait hors du temps, hors du quotidien, dans un monde où les frontières entre la vie et la mort, la présence et l'absence, le rêve et la réalité, la laideur et la beauté, n'existent plus.