L'obscurité avait rendu les vitres aveugles. La fine buée qui les recouvrait accentuait le phénomène de dilution du cercle lumineux qui s'échappait d'un lampadaire à l'extérieur. Les bruits semblaient amortis par l'épaisseur de la nuit. Les tintements de verres, d'assiettes, de tasses ou de couverts avaient baissé d'un ton, chacun retenait ses gestes et contenait sa voix. Le gros bourdon de l'église commença de s'ébranler pour sonner l'angélus. Paix du soir promise par les notes qui prenaient peu à peu possession du ciel et de la ville entière qui s'étirait en bas, de part et d'autre de la rivière qui irriguait le pays depuis les siècles des siècles. Les battements que dispensait la cloche, devenus larges et réguliers, laissaient courir les vibrations de l'air jusqu'au déploiement parfait de la sonorité, avant de reprendre leur vigoureux élan. Puis ils refluaient doucement, diminuant progressivement d'intensité selon une courbe préétablie et parfaitement maîtrisée, véritable métaphore de l'ordre supposé du monde, laissant dans les coeurs même distraits ou rétifs, ne serait-ce que par l'effet de la beauté des sons, un sentiment inexplicable de plénitude et de réconciliation... Ce soir-là, il lui avait encore dit quelques autres choses, dont une qui ressemblait un peu à "pardon"... Elle aurait pu et dû, ce soir-là, l'interroger davantage, l'aider à continuer de dévider ses souvenirs et confier ce qui, pour lui, constituait l'essentiel, pour éviter qu'il ne quitte unilatéralement et brutalement, malade, usé, une scène où il lui devait encore quelques répliques...