Dans la cuisine de ma grand-mère, lorsque je sirotais ma bière, j'absorbais toutes les paroles, même rares, que j'entendais, et j'examinais, je scrutais tous les détails que je voyais. J'entamais à ma façon, bien inconsciemment, l'oeuvre d'un nouveau roman. J'étais fascinée par un miroir mobile triptyque qui se dépliait et se repliait comme un livre. J'y observais mon visage démultiplié comme on interroge une évidence énigmatique. Aujourd'hui, accoudée chez moi à la table de ma cuisine, moins abîmée physiquement que ma grand-mère mais, parvenue sur les rives de la soixantaine, presque aussi vieille qu'elle l'était alors, je contemple en pensée la gamine que j'étais, petite conscience en éveil qui captait les signes envoyés par le monde... Ma gorgée de bière