Il me semble que j'ai assez vite déchiffré les légendes explicatives ou les titres qui balisaient la lecture sous et au-dessus des photographies que je contemplais chaque semaine. Un rituel s'était installé. Nous prenions place autour de la table, dans la cuisine, et ma grand-mère sortait ses jolis petits verres aux rainures teintées de rose. Elle les remplissait en faisant mousser la bière et distribuait des biscuits. Au bout de cinq à dix minutes, mon frère s'en allait dans la cour ou dans la rue, qui débouchait sur un terrain vague où il ramassait des douilles et du métal. L'été, il allait plus loin pêcher de tout petits poissons ou capturer des grenouilles. Il rejoignait des copains que je ne voyais jamais, dont j'entendais seulement le nom ou le surnom, parfois. Mes parents disaient: "C'est un garçon", et ma grand-mère opinait de la tête. Nous écoutions en silence le carillon égrener le premier quart d'heure passé ensemble. J'avais peur de m'ennuyer et je glissais alors un regard vers la pile de revues sur la chaise près du buffet. Pour patienter, je contemplais le sillage des bulles de bière qui remontaient à la surface de mon verre. Je cherchais sans trouver le début ou la fin de leurs trajets. Je me laissais hypnotiser, et quand la revue était enfin étalée sous mon nez, j'étais presque surprise.