Nos déplacements dans la ville de A. se faisaient selon trois axes. Par l’Ouest, nous allions chez ma grand-mère paternelle, par l’Est, nous nous rendions au cimetière et en Belgique, et quand nous marchions sans inflexion ni bifurcation marquée vers la droite ou vers la gauche, en nous laissant simplement attirer par les lumières de la ville et la circulation des voitures, nous arrivions au centre, où, les soirs d’hiver, l’œil rond du beffroi nous éclairait comme une lune. Entre 1968 et 1969, son horloge m’a renseignée chaque matin sur l’étendue de mon retard au lycée, qui était situé à l’autre bout de la ville, à l’opposé de notre faubourg ouvrier. L’année suivante, j’apprendrais brutalement la maladie de ma mère, mais le centre de gravité de mon existence se serait déjà déplacé ; interne à L., je ne reviendrais plus que le week-end dans cette ville qui m’était familière au point de croire que ses plis coïncidaient avec mes propres habitudes et que ma vie tout entière lui était définitivement associée. J’aimais A. comme on aime sa famille, je n’imaginais pas que je serais séparée de l’une comme de l’autre, de l’une parce que de l’autre, dans un avenir proche.