Je décapsule, je retrouve la gestuelle des cabaretiers, je verse la bière dans un verre banal en la faisant mousser. Le liquide est doré, surmonté d'une tranche de neige qui fond presque aussi vite qu'apparue. Je m'oblige à boire lentement, et je savoure. Je crois que je n'ai jamais vraiment aimé ce goût piquant qui me déconcertait, enfant, mais on me disait que c'était bon. J'avalais de petites gorgées en m'imprégnant de cette idée, qui devenait sensation détournée. Cette saveur amère que spontanément j'aurais repoussée de mes lèvres était parée de toutes les vertus par les adultes qui m'initiaient à la vie, et j'associais les bulles de la fermentation du houblon à la chaleur familiale qui me les rendait désirables.