Un dimanche, pour éviter que je m'ennuie, ma grand-mère avait sorti de la pile des publications amassées sur la chaise une revue qu'elle avait dépliée sur la table. Je suis entrée ce jour-là dans le monde des grands par le geste de la lecture. Paradoxalement, c'est par ce geste qu'aujourd'hui je recherche les saveurs primordiales de mon enfance. Je la sens blottie au fond de moi, dans le creux de mon silence intérieur, délicate et fragile comme les ailes d'un papillon, comme les pages envolées (volées) d'un livre, qui resterait à écrire... La lecture était un acte très sérieux qui consistait à tourner les pages d'un magazine ou d'un journal, si possible en fronçant les sourcils. Mon père était impressionnant, le soir, après le repas, quand ses yeux écoutaient-lisaient La Voix du Nord. Comme lui, je tournais les pages et je m'abîmais dans la contemplation des photographies. C'est ainsi que j'ai commencé mon apprentissage du monde. Ma gorgée de bière