Pourquoi faut-il que les Etats payent 600 fois plus que les banques?
par Michel Rocard, ancien premier ministre, et Pierre Larrouturou, économiste
| 02.01.12 | 16h00 • Mis à jour le 02.01.12 | 18h15
Est-il normal que, en cas de crise, les banques privées, qui se financent habituellement à 1 % auprès des banques centrales, puissent bénéficier de taux à 0,01 %, mais que, en cas de crise, certains Etats soient obligés au contraire de payer des taux 600 ou 800 fois plus élevés ?
"Etre gouverné par l'argent organisé est aussi dangereux que par le crime organisé", affirmait Roosevelt. Il avait raison.
Nous sommes en train de vivre une crise du capitalisme dérégulé qui peut être suicidaire pour notre civilisation. Comme l'écrivent Edgar Morin et Stéphane Hessel dans Le Chemin de l'espérance (Fayard, 2011), nos sociétés doivent choisir : la métamorphose ou la mort ?
Allons-nous attendre qu'il soit trop tard pour ouvrir les yeux ? Allons-nous attendre qu'il soit trop tard pour comprendre la gravité de la crise et choisir ensemble la métamorphose, avant que nos sociétés ne se disloquent ?
Nous voulons montrer qu'il est possible de donner tort à Paul Krugman quand il explique que l'Europe s'enferme dans une "spirale de la mort". Comment donner de l'oxygène à nos finances publiques ? Comment agir sans modifier les traités, ce qui demandera des mois de travail et deviendra impossible si l'Europe est de plus en plus détestée par les peuples ?
Faire payer des taux d'intérêt colossaux pour des dettes accumulées il y a cinq ou dix ans ne participe pas à responsabiliser les gouvernements mais à asphyxier nos économies au seul profit de quelques banques privées : sous prétexte qu'il y a un risque, elles prêtent à des taux très élevés, tout en sachant qu'il n'y a sans doute aucun risque réel, puisque le Fonds européen de stabilité financière (FESF) est là pour garantir la solvabilité des Etats emprunteurs...
Il faut en finir avec le deux poids, deux mesures : en nous inspirant de ce qu'a fait la banque centrale américaine pour sauver le système financier, nous proposons que la "vieille dette" de nos Etats puisse être refinancée à des taux proches de 0 %.
Il n'est pas besoin de modifier les traités européens pour mettre en oeuvre cette idée : certes, la Banque centrale européenne (BCE) n'est pas autorisée à prêter aux Etats membres, mais elle peut prêter sans limite aux organismes publics de crédit (article 21.3 du statut du système européen des banques centrales) et aux organisations internationales (article 23 du même statut).
Elle peut donc prêter à 0,01 % à la Banque européenne d'investissement (BEI) ou à la Caisse des dépôts, qui, elles, peuvent prêter à 0,02 % aux Etats qui s'endettent pour rembourser leurs vieilles dettes. Rien n'empêche de mettre en place de tels financements dès janvier !
On ne le dit pas assez : le budget de l'Italie présente un excédent primaire. Il serait donc à l'équilibre si l'Italie ne devait pas payer des frais financiers de plus en plus élevés. Faut-il laisser l'Italie sombrer dans la récession et la crise politique, ou faut-il accepter de mettre fin aux rentes des banques privées? La réponse devrait être évidente pour qui agit en faveur du bien commun.
Le rôle que les traités donnent à la BCE est de veiller à la stabilité des prix. Comment peut-elle rester sans réagir quand certains pays voient le prix de leurs bons du Trésor doubler ou tripler en quelques mois ?
La BCE doit aussi veiller à la stabilité de nos économies. Comment peut-elle rester sans agir quand le prix de la dette menace de nous faire tomber dans une récession "plus grave que celle de 1930", d'après le gouverneur de la Banque d'Angleterre ?
Si l'on s'en tient aux traités, rien n'interdit à la BCE d'agir avec force pour faire baisser le prix de la dette.
Non seulement rien ne lui interdit d'agir, mais tout l'incite à le faire. Si la BCE est fidèle aux traités, elle doit tout faire pour que diminue le prix de la dette publique. De l'avis général, c'est l'inflation la plus inquiétante !
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